Vendredi je me suis levée sans électricité, et couchée sans eau courante. N’ayant plus rien à perdre, j’ai décidé de ne pas me dégonfler au dernier moment, et de le prendre, ce train pour Paris, pour lequel j’avais réservé des billets deux jours avant. Agoraphobe, j’ai donc passé mon samedi après-midi à la « Marche nationale sur l’Élysée contre la politique de Macron ». Entre horde de casseurs et mur de CRS. Je n’ai pas dit que tout faisait sens. Mais tout est vrai. [Attention, certaines photos peuvent en cacher d'autres...] Place du Maréchal Juin (XVIIe), 14h00. J’arrive pile à l’heure à l'événement. C’est à dire avant la plupart des manifestants. Ceux déjà présents profitent d’une fanfare et entonnent quelques slogans. « El pueblo unido jamás será vencido » ("Le peuple uni ne sera jamais vaincu"). On déploie des banderoles colorées, souvent étiquetées Front Social. « Contre Macron et son monde, prenons la rue ! », « Point final au pouvoir des riches ! ». Dans la foule parsemée, je fais tranquillement le tour. Je repère les différents syndicats, et des pancartes. Puis quand la place se remplit, je m’extirpe pour aller à l’avant, à distance. Je note mes premières impressions. Tout ce qu’on oublie, qui paraît "normal" une fois habitué. ...Et ce qui me saute aux yeux c’est tout ce qui diffère d’une manifestation "normale" à Lille. Les prises de paroles en amont par exemple. Un parcours balisé par un cartel de casseursLa marche démarre enfin. « Une centaine de militants antifascistes, autonomes et anticapitalistes » (selon l’AFP) forment brièvement le cortège de tête, avant de se faire dépasser par une banderole « Non à la sous-traitance dans l’hôtellerie ». Le parcours est émaillé d’attaques envers les banques. Ça commence par des trous en forme de smiley dans l’écran d’un distributeur de billets. Il y aura évidemment des vitres brisées, des murs tagués. C’est automatique. Dès qu’une agence bancaire apparaît sur le chemin, elle est prise d’assaut. Puis le cortège continue son parcours jusqu’à la suivante qui subira des dégâts selon un même protocole. C’est méthodique. À un moment, je me retrouve face à un casseur, tout en noir, cagoulé, masqué, avec une massette à la main. Il s’avance, déterminé. J’ai comme un flash : Je revois la scène du marteau dans Drive. Et je ne veux pas être là. À peine le temps de m’éloigner de quelques pas, que la vitrine de la banque cède. Un fumigène, une torche même, rouge, est jetée à l’intérieur. Les photographes attendent sagement que l’auteur soit parti, puis se précipitent tous pour capturer le spectacle. C’est convenu. Pour les novices, les règles sont rappelées sur les premières frappes. Des espèces de responsables du mouvement demandent à ce que les casseurs ne soient pas photographiés. Si tu tentes tout de même, tu sais à quoi tu t’exposes. C’est ton appareil qui prend, avec plus ou moins de fermeté. (Et toi, si tu insistes vraiment ?) « Siamo tutti antifascisti » (« Nous sommes tous antifascistes »), comme ils disent. L’ambassade du Sultanat d’Oman va aussi être attaquée. Après avoir essayé d’en descendre le drapeau -sans succès-, le groupe va en briser les vitres, et taguer les murs. Évidemment, le comportement de ces individus, indépendants des syndicats, ne plaît pas à tous. Un manifestant étiqueté France Insoumise va tenter de s’y opposer plusieurs fois. « Il ne faut pas faire ça, c’est pas bien. » Il paraît âgé, il a visiblement du mal à marcher. Il sera éloigné de la meute par les mêmes individus surveillant les objectifs, reconduit vers un pan de la manifestation plus pacifiste. Plus loin, la situation est source d’échange entre un militant et un photographe -amateur-. L’un énervé, l’autre résigné : - Ce n’est pas très intelligent de les provoquer. - Ah c’est eux qui détruisent, et c’est moi qui ne suis pas très intelligent ?! Y’a même pas de service d’ordre ! - Non, mais… Vous savez très bien que… « Mais que fait la police ? »Expression. Tic. Mème. Mais c’est littéralement ce que je finis par me demander quand je vois ce qu’il reste de la Société Générale rue de Courcelles : un fauteuil de bureau trône dehors, dans des débris de verre, à côté d’un écran d’ordinateur. Au fond de l’agence, une torche finit de brûler non loin de branchements électriques. Je tente de prendre une photo, mais voilà qu’un escadron de CRS me percute et me repousse pour "sécuriser" la zone. Comprenez par là que la torche est éteinte, et qu’une jolie petite bande « franchissement interdit » barrera dorénavant l’accès à la vitrine détruite. (Est-ce là vraiment la seule mesure de sécurité ? Combien de temps mettront-ils à remplacer la vitre brisée ? Le chauffage était-il allumé ?) Jusque-là totalement absentes de mon champ de vision, les forces de l’ordre encadrent désormais le cortège des antifascistes et anticapitalistes. La marche s’arrête au croisement entre la rue de Courcelles et le Boulevard Haussmann (VIIIe). Après une dernière prise de parole des organisateurs, la foule se disperse… En se soumettant toutefois à une fouille de la part de la police. « Et surtout, prenez votre temps. » Voilà les « nouvelles consignes » pour les fouilles au moment de mon passage devant les CRS.
Une fois le point de contrôle franchi, je reviens sur mes pas. Je décide de passer par le Parc Monceau. Ses grilles dorées avaient attiré mon attention en descendant. C’est beau, Paris aux couleurs de l’automne. Peut-être que « Paris est magique ! » après tout. Même si là tout de suite, je trouve surtout que Paris (et ses gens), c’est vannant. (Paris, 18.11.17) Les commentaires sont fermés.
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